Ce billet a pour but de résumer les expériences de la Cinémathèque québécoise en matière de partage de données lors du deuxième volet du projet SCC et de partager des leçons apprises par la Cinémathèque au cours de ses activités.

Les sections suivantes présentent les différentes interventions de la Cinémathèque en matière de diffusion de données ouvertes.

Pérennisation du jeu de données liées

Au cours du premier volet du SCC en 2022, la Cinémathèque a produit et diffusé un jeu de données liées sur les œuvres cinématographiques de sa collection, actuellement hébergé ici sur le dépôt de données Données Québec.

Dans un premier temps, ce jeu de données était hébergé sur un site web indépendant géré directement par la Cinémathèque. Cependant, la Cinémathèque n’étant plus en mesure d’assurer l’hébergement à long terme de ce site, et nous voulions chercher une alternative afin que la Cinémathèque ne soit plus responsable du maintien des infrastructures web. La solution retenue était du côté de Données Québec, une plateforme qui prend en charge toutes les infrastructures nécessaires pour l’hébergement durable des jeux de données qui s’y trouvent.

Avant de verser le jeu de données liées, nous avons profité de cette occasion pour mettre à jour les données afin de les simplifier et les rendre conformes aux ontologies utilisées, notamment CDOC-CRM et FRBRoo.

Dans le jeu de données initial, une notice d’œuvre cinématographique du catalogue interne de la Cinémathèque correspondait à six entités RDF, tel qu’illustré dans le diagramme suivant :

Avec la simplification de la structure, le nombre d’entités représentant une œuvre cinématographique est passé à trois et le nombre de triplets qui constituent le jeu de données est passé de 6 224 396 à 5 167 525 — une réduction de 17% des triplets nécessaires pour exprimer les mêmes informations.

Leçons apprises

Nos activités avec les données liées ont soulevé quelques obstacles intrinsèques au format auxquels il faut faire face pour qu’un projet de données liées réussisse — et qu’il mérite les ressources attribuées.

Une ontologie n’est pas un schéma. La simplification du jeu de données liées met en lumière l’arme à double tranchant qu’est la structuration de données liées par ontologie : le format est très flexible et extensible, mais il est également problématique d’assurer une implémentation assez uniforme pour permettre l’interopérabilité de deux jeux de données construits selon les mêmes ontologies.

Les données liées sont souvent vendues comme une façon de mutualiser des jeux de données produits par différents organismes (par ex., Allemang et al., 2020, 8; Lincs). Cependant, les expériences de la Cinémathèque suggèrent que les données liées représentent un mauvais outil pour la fédération de données. (Note technique : il s’agit ici de l’ingestion de données liées sérialisées dans un triplestore, mais ces critiques sont également valides pour la fédération de données au niveau de la requête.)

Si, à chaque itération de notre jeu de données liées, la Cinémathèque a produit une différente interprétation de l’ontologie FRBRoo incompatible avec la précédente, il est encore moins probable que d’autres institutions aboutissent à des interprétations compatibles avec la nôtre. Il est possible de créer des liens entre deux jeux de données ayant deux structures incompatibles, mais les opérations d’analyse ou de lecture conçues pour l’un jeu de données ne donneraient pas de résultats fiables pour l’autre.

Confronté à cette problématique, d’autres technologies proposent des schémas — des langages qui permettent de valider des données par rapport à une norme (par ex., RELAX NG ou XSD pour XML ou JSON Schema pour JSON). Le terme « schéma » est souvent utilisé de façon informelle pour désigner une description de la structure d’un jeu de données liées, mais ces descriptions n’ont pas la même capacité de validation que les schémas proprement dits.

Cela veut dire que, quand un organisme reçoit un fichier de données liées qui prétend suivre une norme, il est en mesure de savoir systématiquement si le fichier respecte cette norme. Il est maintenant une pratique courante que les normes documentaires les plus importantes fournissent des schémas de validation (par ex., EAD en archivistique ou MARCXML en bibliothéconomie). Une technologie semblable existe pour les données RDF, SHACL, mais son adoption demeure relativement limitée.

Si un organisme souhaite partager ses données à grande échelle dans un contexte où la lisibilité par machine normée est une priorité, il vaudrait la peine d’explorer d’abord un format comme XML ou JSON.

Il faut être en mesure de maintenir les URIs. Ce qui distingue les données liées de presque tous les autres formats alternatifs est que les données liées sont intégrées dans le web; c’est-à-dire que chaque entité est identifiée par un URI (Uniform Resource Locator) qui mène à une page lisible par l’humain et/ou par machine.

Par exemple, la chaîne de caractères « http://www.wikidata.org/entity/Q2 » est à la fois l’identifiant de l’entité « Terre » dans Wikidata et un lien valide qui mène à une page qui décrit l’entité « Terre ». C’est cette caractéristique, où les identifiants sont également des liens web, qui permet de dire que les données liées existent « dans » l’internet plutôt que « sur » internet.

Pour encadrer cette existence dans l’internet, Tim Berners-Lee énumère quatre règles ou attentes pour les données liées :

1. Nommez des choses avec des URIs;
2. Utilisez des URIs http pour que le public puisse chercher ces noms;
3. Quand quelqu’un cherche un URI, fournissez de l’information utile, en respectant les normes (RDF*, SPARQL);
4. Intégrez des liens vers d’autres URIs pour permettre la découverte d’autres choses.

Si les données d’un jeu de données liées ne sont pas intégrées dans un site web accessible au public, seulement la première attente est satisfaite.

Cela veut dire que la diffusion de données liées qui se sert des fonctionnalités importantes du format implique la mise sur pied d’infrastructures numériques relativement complexes de façon durable.

Le jeu de données tel qu’il existe sur Données Québec consiste en des données liées « sérialisées », c’est-à-dire exportées d’une base de données (un triplestore) et enregistrées dans un fichier texte qui respecte des normes syntaxiques établies, ce qui permet le partage de ces données.

Un jeu de données liées disponible sous forme de fichier sérialisé téléchargeable a toujours le potentiel d’être téléchargé par l’utilisateur et versé dans un triplestore local, mais à plusieurs égards ce jeu de données ne présente pas plus de fonctionnalité qu’un jeu de données tabulaire, XML ou JSON. Heureusement, les formats de sérialisation de données RDF RDF/XML et JSON-LD sont des documents valides de XML ou JSON, respectivement. La diffusion de données liées dans ces deux formats serait à privilégier parce qu’elle en permet la réutilisation en tant que données liées ou en tant que données XML ou JSON simples.

Contributions à Wikidata

Le versement de données à la base de données Wikidata a fait partie de chaque volet du projet SCC. Wikidata est un triplestore (une base de données RDF) qui sous-tend certaines fonctionnalités des plateformes Wikimédia; par exemple, la liaison d’articles Wikipédia sur le même sujet dans différentes langues s’appuie sur les entités qui se trouvent dans Wikidata. Les données de la plateforme sont également disponibles sous licence ouverte et accessibles par requête SPARQL.

Un versement de données sur Wikidata consiste en la création d’entités et la création de déclarations qui lient des entités entre elles. Pour plus d’information sur la structure de Wikidata, voir cette introduction à la plateforme. Quand la Cinémathèque effectue un versement, les données ajoutées à Wikidata sont créées à partir des données de notre catalogue interne à l’aide d’outils d’automatisation.

Au cours du deuxième volet du SCC, nous avons effectué les versements suivants :

Identification d’œuvres cinématographiques produites au Québec. Ce versement a ajouté une déclaration à 2 667 œuvres l’identifiant comme produite au Québec. Ce versement avait pour but de rendre le cinéma québécois plus lisible en tant qu’objet d’études sur Wikidata.

Ajout de données sur le générique et la distribution d’œuvres québécoises. Ce versement a ajouté plus de 12 000 déclarations décrivant les personnes ayant travaillé sur des œuvres cinématographiques québécoises et leurs rôles.

Création d’entités pour personnes qui travaillent dans le cinéma québécois. Ce versement a créé 506 nouvelles entités représentant des personnes impliquées dans le cinéma québécois.

Leçons apprises

Si Wikidata sert à une fonction importante pour le bon fonctionnement des plateformes Wikimédia, son utilité pour la diffusion de données ciblant des utilisateurs à l’extérieur de l’écosystème Wikimédia reste à démontrer.

Contributions à Données Québec

La Cinémathèque verse des jeux de données sur le dépôt de données Données Québec depuis le début du projet SCC. Le grand avantage de la plateforme est qu’elle prend en charge une large gamme de types de données, permettant à la Cinémathèque de diffuser ses jeux de données de façon durable et sans frais.

Au cours du deuxième volet, nous avons versé trois jeux de données (ainsi que le jeu de données liées présenté ci-dessus).

1. Documents audiovisuels de consultation de la Cinémathèque en 2021: Informations sur les 9 706 documents audiovisuels disponibles dans la médiathèque de la Cinémathèque.
2. Œuvres reçues par la Cinémathèque québécoise dans le cadre du dépôt légal.
3. Documentation de la Cinémathèque québécoise sur le cinéma autochtone: Un jeu de données sur les ressources de sa médiathèque sur le cinéma autochtone.
4. Œuvres cinématographiques et ses données dérivées: Une version préparée pour diffusion publique des données brutes du catalogue interne utilisées pour la production des données liées.

Ces jeux de données se joignent aux autres jeux de données ouvertes déjà versés au cours du volet 1 :

1. Appareils cinématographiques de la Cinémathèque québécoise: Une liste des appareils cinématographiques des collections de la Cinémathèque québécoise.
2. Œuvres cinématographiques et vidéographiques de la Cinémathèque québécoise: Un jeu de données simplifié sur les œuvres cinématographiques et vidéographiques canadiennes documentées dans la base de données de la Cinémathèque québécoise.

Leçons apprises

Nos activités sur Données Québec soulignent l’avantage de travailler avec des plateformes externes spécialisées. Comme tous les organismes d’héritage culturel, la Cinémathèque a des ressources limitées, et il serait difficile de justifier la dépense impliquée dans la création de sa propre plateforme de diffusion de données. La stabilité et pérennité des ressources développées est encore plus problématique quand les initiatives sont financées par des subventions ponctuelles.

Cependant, Données Québec soulève un autre enjeu de diffusion de données : l’importance d’être en mesure d’évaluer la réussite de ses initiatives de diffusion de données. Avec des statistiques d’utilisation ou de consultation, il est possible de mesurer l’impact de ses interventions et de privilégier celles qui bénéficient le plus au public. En bref, la Cinémathèque ne gagne rien à attribuer ses ressources limitées à diffuser des jeux de données qui ne sont pas consultés.

Malheureusement, Données Québec ne fournit pas de statistiques sur l’utilisation des jeux de données diffusées sur la plateforme, ce qui limite notre capacité à évaluer la valeur de nos interventions.

Contributions à Wikimédia Commons

La Cinémathèque a diffusé deux types de contenu sur Wikimédia Commons, la médiathèque en ligne de la Fondation Wikimédia : des images d’objets de sa collection et des images d’événements du SCC.

Cent-sept photos d’appareils sont disponibles sous la catégorie « Collections of the Cinémathèque québécoise ». Cent-six photos d’ateliers Wiki et d’autres événements ont été diffusées sous des sous-catégories de « Cinémathèque québécoise » comme « Atelier wiki Documenter le cinéma des femmes dans la région de la Capitale-Nationale » et « Atelier wiki Filmer les communautés, agir par le documentaire ».

La Cinémathèque prend des photographies des objets de sa collection dans le cadre de ses activités régulières. Normalement, ces photos sont destinées à l’usage interne ou à alimenter une section relativement cachée de notre site web principal.

Leçons apprises

L’avantage de contribuer à Commons est que, en diffusant ses photos sur Commons sous licence Creative Commons, la Cinémathèque les rend accessibles à la réutilisation et les rend plus découvrables en les liant à l’écosystème de Wikimédia.

Commons est la source de toutes les images utilisées sur Wikipédia, et quand une image est insérée dans un article, elle est diffusée à un immense public. L’image de la Cinémathèque qui illustre l’article Tireuse cinématographique apparaît maintenant comme premier résultat d’une recherche Google Images du même terme.

Conclusion

La grande leçon de l’implication de la Cinémathèque québécoise en matière de diffusion de données ouvertes est qu’il ne suffit pas de simplement diffuser un jeu de données ouvertes et déclarer la victoire. L’ouverture des données n’est pas une fin en soi, mais un moyen d’atteindre d’autres objectifs.

Références

Allemang, D., Hendler, J. et Gandon, F. (2020). Semantic Web for the Working Ontologist: Effective Modeling for Linked Data, RDFS, and OWL (3^e éd.). ACM. https://doi.org/10.1145/3382097

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